Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Amis du laboratoire Arago
12 juin 2020

QUESTIONS-RÉP0NSES du 12/06/2020: Le changement climatique est une grave menace pour les régions arctiques et antarctiques

Il y a cinq ans, James McClintock séjournait à l’Observatoire Océanologique de Banyuls dans le cadre d’une étude portant sur la vulnérabilité des tests d’oursins à l’acidification des océans. James McClintock est professeur de Biologie Marine à l’Université d’Alabama, à Birmingham, aux Etats Unis. Mondialement reconnu pour ses travaux de recherche sur l’impact des changements climatiques sur les écosystèmes antarctiques, il a dirigé 14 expéditions scientifiques dans l'Antarctique au cours des 30 dernières années. Il est également l’auteur de « Lost Antarctica » (L’Antarctique perdu : aventures dans une terre qui disparait). Dans le cadre d’une conférence donnée à l’Observatoire pour les Amis du Laboratoire Arago, il avait exposé ses travaux et dévoilé les menaces qui pèsent sur la faune marine en Antarctique. Le sachant de retour d’une campagne sur ce continent au tout début du confinement, nous lui avons posé la question suivante.

Question :

« Le changement climatique est une grave menace pour les régions arctiques et antarctiques du monde. Quelle est la situation actuelle en Antarctique selon vos dernières observations?


Réponse de James McClintock:

  

J'effectue des recherches en biologie marine dans l’Antarctique depuis 37 ans. Ma première expédition dans cette région Antarctique est intervenue pendant mon doctorat durant lequel j'ai passé deux mois à la station de Port-aux-Français, sur l'île de Kerguelen, dans le sud de l'océan Indien. Cette expérience a été à l’origine d’une carrière dédiée à la compréhension de l'écologie de cette vie riche et diversifiée que l’on trouve sur les fonds marins de l'Antarctique.
Il y a deux décennies, mes travaux m'ont emmené dans un petit centre de recherche antarctique américain appelé «Palmer Station», situé dans la péninsule antarctique occidentale. À l'époque, je ne savais pas qu’il s’agissait d’une région de l'Antarctique qui se réchauffait plus rapidement que n'importe qu’elle autre endroit de la planète. Une station de recherche à proximité avait enregistré quotidiennement la température de l'air pendant plus de 60 ans et avait noté que les températures au milieu de l'hiver avaient augmenté de 6 degrés au cours de cette période, un niveau semblable au taux de réchauffement de l'Arctique.


En quelques années, mes projets de recherche, centrés sur l'écologie chimique des algues marines et des invertébrés, se sont élargis pour englober ces aspects du changement climatique. J'ai ainsi commencé à étudier les impacts du réchauffement de l'eau de mer et de l'acidification des océans sur la vie marine.


Que se passe-t-il donc en terme de changement climatique sur les 1 000 km de long de la péninsule antarctique occidentale? D'abord et avant tout, il s’agit d’un changement des caractéristiques de la masse de glace. Par exemple, le glacier Marr, situé derrière la station Palmer a rapidement augmenté sa vitesse de récession. Il y a vingt ans, c’était pour moi un évènement quand j’entendais le bruit de la glace qui se détachait du glacier et tombait dans la baie. Je sautais de mon ordinateur et rejoignais mes collègues alors qu'ils se pressaient à la porte en regardant les vagues déferler sur la baie. Il y a trois mois, lors de mon dernier séjour à la station Palmer, le bruit du vêlage du glacier, le détachement d’énormes blocs de glace, était devenu banal. Personne ne courait plus dans le couloir pour regarder. Quatre-vingt-sept pour cent des glaciers le long de la péninsule occidentale reculent maintenant.


La banquise se brise également le long de la péninsule antarctique et partout ailleurs en Antarctique. Ces morceaux de glace flottants de 300 m d'épaisseur attachés au rivage sont nombreux, dans certains cas de la taille de petits pays. Lorsque ces plateformes de glace se désagrègent et fondent, la bonne nouvelle est qu'elles ne contribuent pas à l'élévation du niveau de la mer dans la mesure où la glace est déjà dans l'eau (pensez à un verre d'eau glacée - lorsque la glace fond, elle ne fait pas couler l'eau au-dessus du verre). Cependant, les scientifiques savent maintenant que les plateformes de glace servent de barrières à l'écoulement des calottes glaciaires au large du continent et vers la mer. Rappelons que l'Antarctique est recouvert de glace sur plusieurs kilomètres de profondeur - et cette calotte glaciaire s'écoule lentement mais sûrement vers la mer. Dans les régions qui ont perdu leur plateforme de glace, l’écoulement de la calotte glaciaire vers la mer depuis la terre peut être 4 fois plus rapide. Cette glace qui pénètre dans la mer depuis la terre contribue à l'élévation du niveau de la mer et explique en partie pourquoi les scientifiques prédisent une élévation importante du niveau de la mer d'ici la fin du siècle. Enfin et surtout, la glace de mer saisonnière diminue, près de quarante pour cent ont disparu de la péninsule au cours des trente dernières années.
La vie marine réagit également au réchauffement. Le manchot Adélie disparaît des environs de la station Palmer à mesure que l'air devient plus chaud et plus humide. Ironiquement, plus de neige tombe et plus tard que d'habitude. Les manchots Adélie arrivent de façon saisonnière en fonction de leur horloge génétique et pondent leurs œufs. Si il survient une tempête de neige en dehors de la saison normale, elle ensevelie la colonie, les œufs «se noient» dans l'eau glacée au fur et à mesure que la neige fond. C’est alors une génération entière de pingouins perdue à cause d’une seule tempête de neige. Alors que le réchauffement se poursuit le long de la péninsule, certaines espèces étendent leur aire de répartition géographique. Les manchots à jugulaire, les manchots papous, les éléphants de mer et les otaries à fourrure se déplacent tous vers le sud, dans des régions autrefois trop froides pour subvenir aux besoins de leurs populations. Ils établissent de nouvelles rockeries. De plus, grâce à mes propres recherches en collaboration, nous savons que les crabes royaux sont maintenant sur la pente de l'Antarctique, se déplaçant pour la première fois vers le plateau où les organismes du fond marin ont peu de protection contre les griffes écrasantes d'un nouveau prédateur.
Les populations de plancton sont également affectées par le changement climatique. Le réchauffement climatique modifie les conditions météorologiques, et vers la pointe nord de la péninsule, il est plus nuageux et plus venteux. La mer, tourbillonnée par des vents violents, pousse le phytoplancton vers les profondeurs, là où la lumière est insuffisante pour soutenir sa machinerie photosynthétique. Certaines espèces clés du phytoplancton disparaissent et ne fournissent plus de nourriture au krill, les animaux en forme de crevette, qui sont la base par excellence des réseaux trophiques antarctiques. Les populations de krill sont de plus en plus menacées.
Enfin et surtout, l'acidification des océans fait déjà des ravages dans l'océan Austral. On y trouve des papillons de mer à coquille (ptéropodes), qui là-bas sont aussi communs que les étoiles dans le ciel et sont importants dans le cycle mondial du carbone, mais dont la coquille aragonitique est endommagée, montrant des signes de dissolution, à cause de l'intensification de l'acidification de la mer.
Ce qui se passe le long de la péninsule antarctique s'étend maintenant à la région occidentale du continent, et finalement à l'est. Un continent de la taille de l'Inde et de la Chine, dont le courant circumpolaire massif a un impact sur le climat mondial en rayonnant vers l'hémisphère Nord via les océans Atlantique et Pacifique, et qui nous alerte par son histoire. Comme pour tout environnement polaire, la sensibilité dans le futur sera élevée. L'Antarctique, comme l'Arctique, est un canari dans une mine de charbon. Le canari chante une chanson d'avertissement.



“Climate change is a severe threat for the Arctic and Antarctic regions of the world. What is the current situation in Antarctica according to your last observations?"

I have been carrying out marine biological research in Antarctica for the past 37 years.  Indeed, my first research expedition to the Antarctic region was as a doctoral student when I spent two months at the Port-aux-Francais station on the island of Kerguelen in the southern Indian Ocean.  This experience spawned a lifetime of devotion to understanding the ecology of the rich and diverse marine life on the seafloor of Antarctica.  
Two decades ago, my research took me to a small American Antarctic research facility called ‘Palmer Station’ located on the western Antarctic Peninsula.  At the time, I had no idea that I had moved to a region of Antarctica that was warming faster than just about anywhere on the planet.  A nearby research station had recorded air temperatures daily for over 60 years and noted that mid-winter temperatures had risen 6 degrees centigrade over this time period, similar in magnitude to the rate of warming of the Arctic.
With a few years, my grant proposals expanded from their focus on marine algal and invertebrate chemical ecology to encompass aspects of climate change.  Accordingly, I began to study the impacts of both warming seawater temperatures and ocean acidification on marine life.  
So what is happening in terms of climate change along the 1000 km length of the western Antarctic Peninsula?  First and foremost are the changes in the ice features.  For example, the Marr Glacier located behind Palmer Station has rapidly increased its rate of recession.  Twenty years ago, it was a big deal when I heard the crash of glacial ice falling in to the bay.  I would leap up from my computer and join my colleagues as they crowded at the door watching the waves sweep down the bay.  Three months ago, in my latest research visit to Palmer Station, the sound of the glacier calving (dropping) house-size chunks of glacial ice had become mundane.  Nobody ran down the hall anymore to watch.  Eighty-seven percent of the glaciers along the western Peninsula are now receding.
Ice shelves are also breaking apart along the Antarctic Peninsula and elsewhere in Antarctica.  These 300-m thick floating pieces of ice attached to the shore are massive.  The size of small countries in some cases.  As they break up and melt, the good news is that they do not contribute to global sea level rise as the ice is already in the water (think of a glass of ice water – when the ice melts it does not cause the water to spill over the top of the glass).  However, scientists now know that the ice shelves serve as barriers to the flow of ice sheets off the continent and in to the sea.  Recall that Antarctica is covered with ice several km deep – and this ice sheet flows slowly but surely seaward.  In regions that have lost their ice shelves the flow rate of the ice sheet in to the sea from land can be 4 times more rapid.  This ice entering the sea from land does contribute to sea level rise, and is part of the reason why scientists predict significant sea level rise by the end of the century.  Last, but hardly least, the annual sea ice is diminishing, some forty percent missing gone from the peninsula over the past thirty years.  

Marine life is responding to warming as well.  The Adelie penguin is disappearing from the region of Palmer Station as the air becomes warmer and more humid.  Ironically, more snow falls and later than usual.  The Adelie penguins arrive seasonally according to their genetic clock and lays their eggs.  Along comes an unseasonal snowstorm and buries the colony, the eggs ‘drowning’ in icy water as the snow melts.  An entire generation of penguins lost in a single snowstorm.   As warming continues along the peninsula, some species are extending their geographic ranges.  Warm-weather chinstrap penguins, Gentoo penguins, elephant seals, and fur seals, and all moving south, to regions once too cold to support their populations.  They are establishing new rookeries.  Moreover, from my own collaborative research, we know that king crabs are now on the Antarctic slope for the first time, moving up towards the shelf where seafloor organisms have little protection against the crushing claws of a novel predator.  
Plankton populations are also being negatively impacted by climate change.  The warming climate is changing weather patterns, and towards the northern tip of the Peninsula, it is cloudier and windier.  The sea, churned by high winds, is pushing the phytoplankton deeper where there is insufficient light to support their photosynthetic machinery.  Some key phytoplankton species are disappearing and no longer providing nourishment for krill, the shrimplike animals that are the quintessential base of Antarctic food webs.  Krill populations are increasingly threatened.  
And last but not least, ocean acidification is already taking a toll in the Southern Ocean, Here, shelled sea butterflies, as common as the stars in the sky and important in the global carbon cycle, can be collected with their aragonitic shells showing signs of etching (dissolution) due to the intensifying acidification of the sea.     
What is happening along the Antarctic Peninsula is now spreading to the western region of the continent, and ultimately to the east.  A continent the size of India and China, and whose massive, circumpolar current impacts global climate as it radiates up in to the northern hemisphere via the Atlantic and Pacific oceans, is telling us all a story.  Like any polar environment, sensitivities to the future are elevated.  Antarctica, like the Arctic, is a canary in a coalmine.  The canary is singing a warning song.   


 

Commentaires
Soyez informés des derniers événements :
Newsletter
122 abonnés
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 72 993
Programme 2024

 

 

Archives
Amis du laboratoire Arago