Conférence du 29 mai 2013

Avis de tempête sur les coraux profonds - 29 mai 2013

Les coraux froids scléractiniaires, largement répandus dans les fonds océaniques, constituent des organismes clés des écosystèmes profonds. En effet, des espèces ingénieures comme Lophelia pertusa ou Madrepora oculata forment des récifs qui servent de refuges, de nurseries et d’exportation vers le plateau continental pour de nombreuses espèces (poissons, décapodes, …), dont certaines ont un intérêt patrimonial et commercial. Cependant, un taux de croissance plus faible que leurs congénères de surface, rendent les coraux profonds particulièrement vulnérables aux activités anthropiques (chalutage, relargage de déchets, acidification). Ainsi, depuis 2006 l’ONU préconise des mesures de protection pour ces écosystèmes fragiles (résolution 61/105, paragraphe 80, section 10), incluant la création d’aires marines protégées.

Les difficultés d’accès aux écosystèmes profonds ont laissé de nombreux vides dans la connaissance biologiques et écologiques des coraux froids, notamment concernant la croissance dans leur environnement naturel. Pourtant, une meilleure compréhension des patrons de croissance de ces espèces est nécessaire pour prédire le temps de résilience lors de dommages et pour déterminer l’impact des changements environnementaux sur les performances de croissance.

La récente exploration des canyons sous-marins du Golfe du Lion (campagnes DIREN-OOB, MEDSEACAN) a montré une grande richesse biologique de ces environnements. En particulier, le canyon Lacaze-Duthiers, situé au large de Banyuls-sur-mer et dont une partie est intégrée dans le Parc Marin du golfe du Lion, abrite d’importantes colonies de coraux froids (Lophelia pertusa et Madrepora oculata), coraux solitaires (Desmophyllum dianthus) et huîtres profondes géantes (Neopycnodonta cochlear). Mais ce canyon est aussi caractérisé par des phénomènes pulsés de plongées d’eaux denses, résultant du refroidissement et de la sursalure des eaux de surface du plateau continental sous l’effet des vents et des régimes de tempêtes. Ces épisodes de ‘cascading’ interviennent selon une périodicité saisonnière (principalement en février-mars), avec une intensité de flux et composition en particules relativement homogènes d’une année sur l’autre, bien que certains évènements particulièrement violents ont été recensés au cours des 40 dernières années. Ils sont caractérisés par des courants et des charges particulaires extrêmes qui constituent tout à la fois un apport d’énergie pour les communautés en place, mais aussi une perturbation du fonctionnement de l’écosystème, pouvant conduire à la réduction de la diversité fonctionnelle. Pour mieux comprendre l’impact de ces évènements de cascades d’eaux denses sur le développement des récifs de coraux profonds (favorisent-ils ou freinent-ils a croissance des coraux ?), le LECOB a mis en place une station d’expérimentation profonde dans le canyon Lacaze-Duthiers (à 500 m de profondeur) depuis Novembre 2010. Des études inédites de croissance in situ des coraux froids constructeurs de récifs (Lophelia pertusa et Madrepora oculata) sont ainsi réalisées à partir d’expériences de marquages-recapture de boutures de coraux. Ces observations de coraux dans leur habitat naturel sont complétées par des études en aquarium afin de déterminer les principaux facteurs contrôlant la croissance de ces espèces ingénieures (vitesse du courant, disponibilité de nourriture, …).

Maître de Conférence de l’UPMC en écologie et géologie, Franck LARTAUD travaille aulaboratoire d’écogéochimie des environnements benthiques (LECOB) à l’observatoire océanologique de Banuyls. Il s’intéresse aux relations entre la croissance des organismes calcifiants (coraux, mollusques) et la dynamique de leur environnement, en vue d’une meilleure caractérisation de leur écologie (rythmes et taux de croissance) et pour l’utilisation de leur squelette comme archive paléoclimatique. Ses travaux se tournent notamment sur les environnements profonds (canyons, sources hydrothermales) où l’analyse sclérochronologique permet l’apport d’un complément d’informations pour comprendre la dynamique de ces écosystèmes sensibles, de plus en plus concernés par les activités anthropiques (pêches, exploitation des ressources…)..